Olivier Amiel philosophe
Réflexion sur le travail du sculpteur en les années 80
Serrées les unes contre les autres, entassées dans l’atelier, les sculptures d’Alain Vuillemet font masse devant le spectateur, se répondent, se parlent. Il faut se glisser derrière la première pour découvrir la seconde, pour voir combien elle est proche et tellement différente, pour discerner la parenté qui les unit, toutes. Peu à peu on se familiarise avec ces formes, on les voit l’une à travers l’autre, et elles se mettent à former comme un paysage.
Au centre de chaque pièce, une sphère, comme le point d’appui, le centre de gravité autour duquel viendront s’articuler des mouvements plus irréguliers ; une sphère, forme géométrique parfaite, identique à elle-même dans toutes ses parties, ensemble d’éléments qui se reproduisent l’un l’autre à l’infini dans leur identité.
C’est le centre absolu, le noyau de la vie avant la vie, un cœur intemporel. Sur lui tout repose, de lui tout peut naître : les formes.
Sur chaque sphère viennent s’accrocher des pièces de métal sauvages, pleine de mouvement, de vie. Elles se tordent l’une dans l’autre, jaillissent à l’improviste, comme si elles voulaient mordre sur la sphère, la faire vivre de leur vie contrastée, faite de tous ces renvois d’un lieu à l’autre. Le mouvement de chaque pièce vient de cette opposition permanente de la forme tourmentée à la forme parfaite, du jaillissement énergique à là stabilité infinie.
C’est une naissance que nous avons sous les yeux, un processus qui part d’un moment avant le temps, avant la vie, pour se constituer brutalement dans une débauche de formes, celles de la vie qui se contredit. Se transforme, se dépasse sans cesse.
Dès qu’on est dans le mouvement qui transforme toute chose, qui provoque les évolutions, les naissances, les morts, aucune stabilité n’est possible ; la sphère a éclaté, la forme pure s’est brisé pour donner naissance à un bouleversement sans limite-, et l’œil suit ce chemin sans cesse renouvelé, refait la route qu’il vient d’achever pour y découvrir un nouveau secret, de métamorphose en métamorphose.
Ce dialogue de la forme pure et du mouvement auquel elle donne naissance est confirmée. Entretenu, par la matière même des sculptures. Lisse, vierge, presque impalpable, pour les noyaux sphériques, elle devient dure et changeante pour les bourgeons.
La surface est truffée d’aspérités, elle est grumeleuse et capte la lumière de manière sans cesse renouvelée. Comme la vie, dure et tendre, chargée de contrastes et d’oppositions, de violences latentes qui émergent parfois de leur propre chef.
Chaque rayon de lumière vient confirmer la vitalité de cette matière, la transforme en plusieurs couleurs instables qui s’accrochent sur la moindre aspérité ; au contraire. La matière des sphères est presque un miroir, comme si elles s’abstenaient de participer à la vie et qu’elles se contentaient de nous renvoyer notre image. D’un état à l’autre, de l’immobilité de la sphère à la vitalité des turgescences, un passage se fait, une transformation presque alchimique : le feu est intervenu. C’est lui qui fait éclater la forme en éclats multiple, qui détruit l’harmonie pour faire naître le mouvement de la vie.
Chaque sculpture est comme une explosion
Pour Olivier Amiel, chaque sculpture est comme une explosion ou un travail de fusion d’un matériau inerte pour en faire un élément parlant de l’univers. Au départ est quelque chose de neutre, qui se désagrège pour se transformer, revivre sous une autre forme : chaque sculpture est un autre phénix, nouvel enfants d’une succession de vies qui le précèdent. L’histoire de ce travail est inscrite dans chaque pièce. et racontée chaque fois d’une manière nouvelle ;
Les lieux de l’opposition sont différents et tous semblables, avec le même squelette pour tous sans pour autant que deux soient identiques, de même ces sculptures sont à chaque fois nouvelles, tout en racontant la même histoire.
Le feu est au cœur de cette histoire,
qu’on sent tellement important pour le sculpteur, comme le père de tout travail sur des volumes qui se rebellent, Par le feu, ces pièces acquièrent une dimension mythologique, celle de la transformation du chaos en univers organisé et pourtant contradictoire, qui peu porter en lui tous les espoirs comme toutes les morts. C’est ce que révèle chaque angle nouveau sous lequel on regarde, et qui fait voir un univers neuf sous l’aspect de cette forme bien connue.
les sculptures sortent du chaos
Dans l’atelier, les sculptures sortent du chaos des matériaux non encore utilisé, des outils, des machines ; on sent l’importance de la matière et du travail, quand elles sont installées au cœur de la forge qui fera de la matière vide la pierre philosophale.
C’est cette importance de la matière qui prend vie que chaque sculpture restitue dans son langage propre, qui fait d’elle une pièce vivante et simultanément une pièce qui raconte la vie, qui dévoile ce qu’est une naissance ; et c’est ainsi que le métal se met à parler un langage merveilleux, celui des contes où l’on n’a pas besoin de mots pour se faire comprendre…
Olivier Amiel avril 1983